La Mauritanie s’apprête à devenir, en 2024, un pays producteur de pétrole et de gaz. Des ressources censées lui apporter une manne importante pour booster son économie, améliorer les conditions de vie des populations, faire émerger une classe moyenne, améliorer un PIB qui peine à atteindre les 2200 $/an…
Avec ses quelque quatre millions d’habitants, la Mauritanie pourrait se transformer en eldorado, à l’image de certains pays du Golfe, Émirats, Koweït, Qatar, Bahreïn… à la seule condition que les profits générés par ces ressources soient bien et équitablement gérés entre les Mauritaniens, tous les Mauritaniens.
Mais la majorité d’entre eux tire le diable par la queue, surtout depuis la pandémie COVID 19 et l’inflation accentuée par le conflit russo-ukrainien, et ne se fait guère d’illusion…
Combien sont-ils à n’avoir pu qu’humer l’odeur du poisson dont regorgent ses côtes réputées les plus poissonneuses de l’Afrique, voire du Monde ? Et je ne parle pas de la silice, du fer, ni même de l’or.
Autant d’immenses espoirs suscités dans la jeunesse qui n’aura dû se contenter, au final, que de quelques emplois assez peu rémunérés. La mauvaise gestion, le clientélisme et la gabegie ont eu raison de leur attente.
Les rapports sur les industries extractives qui tombent assez régulièrement sont loin de se traduire dans la réalité quotidienne. Est-ce pour ces raisons que des milliers de jeunes mauritaniens ont choisi d’immigrer ces deux dernières années aux États-Unis ?
Immigration périlleuse
Ce choix de quitter leur pays alors que celui-ci s’apprête à sortir ses premiers barils des profondeurs de l’océan Atlantique pose questions. Quel paradoxe ! Pourquoi opter pour une migration parfois très périlleuse, via l’Amérique latine dont certains pays sont écumés par des trafiquants en tout genre, braqueurs et compagnie, mobilisant à cette fin des fortunes qui pourraient être fructifiées ici ? Parce qu’ils ont perdu toute confiance en leur pays. L’horizon leur paraît bouché.
Selon des sources proches de l’aéroport Oumou Tounsy, plus de vingt jeunes mauritaniens empruntent chacun des quatre vols hebdomadaires de Turkish Airlines. Une véritable hémorragie pour notre Mauritanie qui perd ainsi ses bras actifs et sa matière grise.
Même des cadres de haut niveau, voire des officiers, ont abandonné leur poste pour la cocagne que représente dans leur imaginaire le pays de l’oncle Sam. Pour se payer le coûteux transport, les candidats au départ épargnent des mois durant, d’autres se saignent de prêts ou vendent des propriétés (terrain, maison, voitures…), à défaut de s’offrir les services d’un parent vivant aux États-Unis.
En ce dernier cas, il se peut que le nouvel arrivant rembourse les frais une fois sur place, après avoir trouvé du boulot. Certains villages du Foutah ont établi, depuis déjà quelques années, une telle solidarité pour aider à émigrer les jeunes restés au pays.
À la question du pourquoi, jeunes et parents répondent qu’ils n’ont plus de place ici ; que pour trouver du boulot, il faut disposer d’un bras long, d’un piston comme on dit ; avec souvent, à l’arrivée, des salaires de misère, des injustices et même de la discrimination. Une mère dont les enfants cherchent à « fuir » le pays nous raconte que la famille a décidé de vendre la maison qu’elle détient dans un quartier périphérique de Nouakchott mais qu’elle peine à trouver acquéreur à un bon prix.
Une autre famille cherche elle aussi à faire partir deux de ses enfants mais n’a toujours pas réussi, comme la précédente, à vendre sa maison. Les deux jeunes dont un est diplômé de l’université de Nouakchott sont très déprimés, tant de leurs amis ayant, eux, réussi à franchir le « mur », comme on dit ici.
Si certains se lèchent déjà les babines à la seule idée des juteux revenus que notre pays devrait tirer du pétrole et du gaz, d’autres mauritaniens ont fini par se résigner, n’attendant pas grand-chose de ces nouvelles ressources, quand d’autres encore se sont contraints à l’exil, quitte à se contraindre à des travaux de peines extrêmes qu’ils refusent d’accomplir chez eux.
Le pétrole et le gaz ne profiteront qu’à ceux qui maîtrisent les rouages du détournement de deniers publics et de la gabegie. En somme à toujours la même mafia qui gangrène les ressources de notre nation depuis des lustres.
« Il n’y a plus d’espoir », comme le chantait Johnny Halliday. Ils ont raflé notre potentiel, construit des châteaux et des palais, acquis des bolides dernier cri alors que tant d’autres de leurs frères en islam peinent à s’endormir, ventre creux.
Le moindre projet ou engagement national ne profitent qu’à des clans et à des tribus, chefs en tête, voire à des cartels incrustés en cette Mauritanie pleine d'injustices.
Conséquence de ce désordre, notre jeunesse s’exile et l’on n’a plus qu’à constater, arpentant les rues de Nouakchott, le nombre croissant de ressortissants des pays d'Afrique de l’Ouest qui s’emparent des commerces en tous genres, transports, restauration…
Dalay Lam